
En anglais ici / in English here: What if we treated babies like this?
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Une société se juge à la manière dont elle se soucie (ou pas) de ses personnes vulnérables.
Imaginons que vous êtes une jeune maman qui vient de donner naissance à une toute petite fille frêle et fragile, votre premier bébé. Elle est prématurée de sept semaines et très mal-en-point.
« Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir, disent les médecins après quelques jours. Nous sommes vraiment désolés. Il lui en reste pour six, peut-être huit semaines au plus. Il n’y a rien que nous puissions faire. »
Vous êtes écrasée par cette nouvelle. Vous voulez rester auprès de votre bébé le plus longtemps possible. Vous passez vos journées à la regarder par la vitre de l’unité de soins spécialisés où elle se trouve parmi d’autres ayant reçu un pronostic aussi sombre que le sien. Une fois par jour, on vous laisse y entrer et toucher la peau de votre bébé. Sa main minuscule agrippe votre doigt. Vous sentez sa volonté de vivre. Vous lui versez votre amour et votre courage sans retenue. Vous êtes exténuée, épuisée. Vous lui donnez toute l’énergie qu’il vous reste. Vous êtes liée à elle. Vous en êtes convaincue. Elle le sait aussi. Elle est issue de votre chair et de votre sang.
Lorsque vous la visitez au quatorzième jour, vous réalisez qu’ils l’ont sortie de son incubateur et qu’elle grelotte de froid. Vous l’observez, si vulnérable dans un monde qu’elle ne comprend pas, et vous êtes submergée par un sentiment d’injustice et de rage. Au moment où vous trouvez finalement une infirmière, vous lui adressez la parole de façon moins courtoise que vous ne l’aviez planifié.
« Mais qu’est-ce que vous faites ? Où est l’incubateur de mon bébé ? Elle a froid !
— Ça ne vaut pas la peine de gaspiller de l’argent pour garder votre bébé au chaud dans un incubateur, vous dit l’infirmière. Ce bébé n’en a que pour quelques semaines à vivre et ne sent pas le froid de toute façon. En fait, elle ne sent rien. Les bébés prématurés n’ont pas d’émotions. »
Vous savez très bien que ce n’est pas vrai. Vous ressentez les émotions de votre nourrisson. Quand vous l’entendez pleurer, cela vous brise le coeur. Vous voulez l’aider. Vous êtes sa mère. Mais vous restez silencieuse pour éviter qu’on ne lui cause davantage de tort.
Un jour, vous remarquez que la couche de votre fille est mouillée ; ce n’est pas la première fois. Sa couche imbibée a débordé sur sa couverture. Vous n’avez pas le droit de la changer vous-même ; c’est contre le règlement. Si vous désobéissez, ils peuvent aller jusqu’à vous empêcher de voir votre bébé, même par la vitre. Vous décidez donc de trouver une infirmière.
« Il faudrait changer mon bébé. Elle est trempée et inconfortable.
— Ah, dit l’une des infirmières en souriant, nous l’avons changée il y a quelques heures. Elle sera changée de nouveau dans quatre heures. Vous pouvez nous faire confiance, nous savons ce qui est bon pour elle. »
Vous savez très bien que ces infirmières ne comprennent pas ce dont votre fille a besoin. En fait, elles ne savent pas du tout ce qu’il est approprié de faire. Elles savent seulement comment faire les choses de manière expéditive et facile, comme on leur a montré et comme on l’a toujours fait. Ce sont les procédures qui priment et non les gens.
Mais vous vous obstinez : « C’est maintenant qu’elle est trempée. Il faut la changer maintenant et non dans quatre heures ! ».
L’infirmière reste de marbre : « Nous avons un horaire à respecter. C’est ainsi que ça fonctionne ici.
— Et une couverture ? Est-ce que vous pouvez m’en donner une pour ma fille? demandez-vous d’une voix suppliante.
— Je suis désolée, nous n’avons pas de couvertures supplémentaires, vous affirme l’infirmière d’une voix sèche, son visage de plus en plus crispé. Que ce soit propre ou sale, chaud ou froid, votre enfant ne fait pas la différence de toute façon. Il n’est donc pas nécessaire de dépenser de l’argent pour laver les couvertures d’un nourrisson qui mourra bientôt. »
Vous êtes démolie. Vous vous sentez impuissante. Un jour, quand votre bébé a trois semaines, vous la retrouvez toute molle dans son petit lit, comme une poupée de chiffon. Vous la croyez morte. Vous vous précipitez au poste des infirmières.
« Qu’est-ce qui est arrivé à ma fille? demandez-vous d’une voix chancelante, au bord du gouffre.
— Ah, elle pleurait trop fort et cela dérangeait les autres bébés. Nous lui avons donné quelque chose pour la calmer et pour qu’elle soit plus silencieuse », vous avoue l’infirmière.
La garder silencieuse ! Vous n’en revenez pas. Vous avez envie de secouer l’infirmière jusqu’à ce qu’elle entende raison. Puis vous essayez de lui faire comprendre ce qui vous semble évident :
« Ce bébé est en train de mourir. Elle a froid et est mouillée. Elle est couchée sur une couverture sale. Remettez-la dans l’incubateur. Couvrez-la avec quelque chose de propre et de doux. Changez sa couche pour qu’elle se sente bien et qu’elle soit au sec. Elle arrêtera de pleurer en un clin d’œil.
— Je suis responsable de ces petits mourants, vous dit l’infirmière au bord de la colère. J’ai vu des tonnes de bébés mourir et je sais de quoi je parle. »
Et d’une voix presqu’aussi calme que la mort, vous lui dites : « Vous ne connaissez pas mon bébé. Mon bébé a grandi à l’intérieur de moi pendant sept mois, six heures, trente-deux minutes, quarante-huit secondes et un million de battements de coeur. Nous avons partagé le même corps, le même sang et le même souffle. Elle fait partie de moi. Elle est moi. Nous formons un tout. Je la connais. Je l’ai vue dans mes rêves. Et je la vois maintenant. Vous ne l’avez jamais sentie bouger dans votre ventre. Vous ne lui avez pas donné naissance. Vous ne savez pas quand elle souffre. »
L’infirmière est immuable et indifférente. Deux jours plus tard, votre petit ange meurt. Et ce n’est pas la maladie qui en est responsable.
Texte de Susan Macaulay traduit de l’anglais par Lucie Levasseur.
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